Cet été, j’ai réalisé une intense activité de construction de « La vraie histoire du tournage de Sierra de Teruel ». Et pour cela j’ai toujours eu sous la main plusieurs biographies d’André Malraux : Todd, Cate, Galante, Thornberry, Nothomb et, bien sûr, un classique incontournable : Jean Lacouture[i], et c’est en lui que je vois une erreur majeure. Il dit :
À la veille de Noël 1936, Malraux reçut l’ordre d’attaquer Teruel et la route de Saragosse avec au moins deux appareils. On lui envoyait un paysan de la région qui avait repéré l’emplacement d’un terrain d’aviation ennemi à détruire, et pourrait lui servir de guide.
Surpris, je consulte les autres biographies, scrutant ce qu’elles expliquent de l’événement du 27 décembre 1936, au cours duquel Malraux fut blessé dans un accident avec le Potez S et le Ñ s’écrasa à Valdelinares[ii].
Si Pierre Galante[iii] ne cite rien de l’événement, Olivier Todd[iv] est plus précis, plaçant l’anecdote avec un paysan d’Olmedo, à juste titre, au 1er septembre. Il est également cité de la même manière par Curtis Cate[v]. Inutile de dire que Thornberry[vi] l’explique en détail et aux dates correctes. Cependant, Paul Nothomb, arrivé en Espagne à la mi-septembre 1936, ne mentionne pas le paysan, même s’il évoque au passage une autre lapsus de Lacouture. Il raconte[vii]: « Dans un de mes romans, j’imaginais une scène que je n’avais jamais vécue (la conversation de Malraux avec un dirigeant communiste), Jean Lacouture fut convaincu que cet épisode purement fictionnel n’était qu’un témoignage de première main. »
L’événement d’un paysan qui informe l’aviation républicaine de l’emplacement d’un aérodrome rebelle est vrai. Cela s’est produit lors de la première étape de l’escadrille, selon la presse[viii], y compris la française[ix], dans laquelle elle détaille que c’est l’escadrille Espagne (c’est-à-dire celle de Malraux) qui a effectué le bombardement du champ localisé par un voisin d’Olmedo, dans la province de Valladolid
Étant donné qu’il s’agit d’un exemple clair de l’héroïsme et de la solidarité du peuple avec la cause républicaine, il était logique que Malraux reflète ce fait dans son roman L’espoir et dans son film Sierra de Teruel.
L’incroyable effort déployé pour la production du film est né de la conviction de Malraux que seul le cinéma pouvait influencer massivement l’opinion publique internationale. À tel point qu’il semble qu’il ait également influencé son biographe.
Pour défendre cela, il faut dire que même dans le roman L’espoir, les deux événements se réunissent à une seule date. C’est à la suite de l’entrée en scène du paysan (sans nom dans le roman) que le commandement décide de bombarder le champ qu’il a découvert[x], confiant la tâche à l’escadrille d’Espagne commandée par Malraux.
Mais Lacouture, donnant au roman ou au film la catégorie de document historique, va aussi relier les deux événements : l’informateur paysan[xi] (le personnage de José, joué dans le film par José M. Lado) et le bombardement du camp rebelle aperçu par lui le 1er septembre près de Valladolid, avec l’attaque de Teruel 27 décembre 1936.
Malheureusement, cet excellent biographe est décédé en 2015, à l’âge de 94 ans. Mais cette petite erreur réaffirme l’idée pour laquelle j’ai lancé VisorHistoria: il est très dangereux de laisser un livre publié comme définitif. Comme, en revanche, de nouvelles éditions corrigées ne peuvent pas être publiées de temps en temps, au gré des nouvelles données trouvées, il est bien préférable de les capturer sur un site Internet où, en cas de nouvelles recherches ou de détection d’erreurs, elles peuvent être ajoutées ou rectifiées immédiatement.
J’espère que les suiveurs de VisorHistoria[xii] le considèrent également de cette façon.
NOTES:
[i] LACOUTURE, Jean (1976) Malraux, une vie dans le siècle. Paris, Éditions du Seuil. Page 233
[ii] https://www.visorhistoria.com/historia-del-potez-n-y-valdelinares/
[iii] GALANTE, Pierre (1971) Malraux una vida novelesca. Barcelona, Aymà.
[iv] TODD, Olivier. (2001) André Malraux une vie dans le siècle. Paris, Gallimard. Page 235
[v] CATE, Curtis (1994). Malraux. Paris, Malraux, une vie Flammarion. Page 301.
[vi] THORNBERRY, Robert S. (1977) André Malraux et l’Espagne. Genève, Librairie Droz.
[vii] NOTHOMB, Paul (2001) Malraux en España. Barcelona, Edhasa. Page 30.
[viii] Las noticias, 2.9.1936
[ix] Le temps, 3.9.1936 Page 1
[x] MALRAUX, André (1996) L’espoir. Paris, Gallimard Ed. Folio. Page 538.