Introduction
Dans les années 1930, le cinéma est par excellence «le» divertissement mondialisé. La multiplication des copies de films et le faible prix des billets permettaient l’accès aux classes populaires et aux lieux reculés, contrairement au théâtre ou à l’opéra qui touchaient un public restreint et aristocratique…
Et, si l’on parle de cinéma, l’Olympe, c’est Hollywood. Dans cette Mecque du cinéma, le Star system avait été inventé. Les stars étaient les idoles des masses, des «êtres mixtes» proches et lointains, mythiques et réels.
L’image de l’acteur s’identifie aux personnages et les personnages prennent les traits subtils de l’acteur. La frontière entre l’acteur et le personnage s’est estompée. C’est ainsi que sont nées les «étoiles» des héros et des héroïnes … jouées par les acteurs. Les stars sont observées par le grand public, leur mode de vie et leurs opinions influencent la société. A cet égard, André Malraux notait déjà : «Regardez les gens quand ils sortent du cinéma à la fin de la séance : vous retrouverez dans leurs gestes ceux des personnages qu’ils viennent de voir»[i].
La guerre d’Espagne
Pour comprendre l’impact mondial de la guerre civile, il faut se replacer dans son contexte. Le fascisme était né en Italie dans la première période d’après-guerre et avait pris le pouvoir en 1922. La crise économique mondiale déclenchée par le krach de Wall Street en 1929 a conduit de nombreuses personnes dans le monde à considérer le modèle italien comme une issue.
C’est ainsi que les années 1930 ont vu la montée au pouvoir de divers fascismes, et en 1933, en Allemagne, la montée au pouvoir de Hitler. Ce fut le déclencheur des feux rouges. En 1935, Hitler militarisa la région de la Ruhr, en violation des dispositions de Versailles. La même année, les lois raciales de Nuremberg ont été introduites. Au même moment, Mussolini envahit l’Abyssinie. Pour beaucoup, il était clair que l’Europe se dirigeait tout droit vers la tragédie. C’est pourquoi ce n’est pas le soulèvement militaire en Espagne en juillet 1936, mais la réaction populaire pour réprimer le coup d’État, qui est devenue pour les secteurs démocratiques du monde une cause à soutenir.
Hollywood et l’Espagne
Entre août et septembre 1936, deux membres libérés du Parti communiste américain, Lilliam Hellman et Dorothy Parker (qui s’est rendue en Espagne pendant le conflit), créerent à New York le Motion Picture Artists Committee (MPAC), présidé par le célèbre romancier Dashiell Hammett. Son but était d’aider l’Espagne et la Chine, alors envahie par le Japon. Le comité était soutenu par le président du Mexique et rejoint par les acteurs Melvyn Douglas (vice-président du comité), Charlie Chaplin, Clark Gable, Edward G. Robinson, Paul Muni, Boris Karloff, Wallace Berry, Douglas Fairbanks Jr, John Garfield, Robert Montgomery, James Cagney et Frederic March ; les actrices Sylvia Sydney, Miriam Hopkins, Louise Rainer, Joan Crawford, Bette Davis, Anna May Wong et Florence Eldridge (épouse de Frederic March) ; les réalisateurs John Ford, Lewis Milestone, William Dieterle, Frank Tuttle, Ernest Lubitch et Frank Borzage. La plupart d’entre eux étaient également membres de la Ligue anti-nazie parallèle[ii]. Ainsi, le soi-disant Front populaire d’Hollywood, ou «Brigade Hollywood” comme l’a surnommé Javier Coma[iii], a été renforcé et consolidé.
Le soutien à la République donne lieu à de nombreux dîners et cocktails chez des stars de Hollywood, ainsi qu’à des tournées de collecte de fonds aux États-Unis, dont la presse mondiale se fait largement l’écho. Le premier envoi en Espagne a été constitué de quatre ambulances dont les châssis portaient les noms des célèbres donateurs. Et comme il s’agissait de «stars», leur position a influencé celle de millions de personnes.
L’écrivain Sciascia raconte comment, adolescent, il apprit que Chaplin et Cary Cooper soutenaient les Rouges… et que ce fut l’élément déclencheur de son antifascisme : s’ils étaient avec les Rouges, c’est qu’il y avait de bonnes raisons.
Le cinéma au service de la cause républicaine
À l’instar des films d’Einsenstein qui, dans les années 1920, avaient servi à faire connaître les circonstances de la révolution russe, les caméras se mirent bientôt à tourner et à jouer leur rôle dans la guerre de propagande.
Spanish Earth (Terre d’Espagne) [iv], sorti en juillet 1937, fut même projeté avant sa première à la Maison Blanche, où les démocrates espagnols comptaient sur Ethel, l’épouse de Roosevelt. Bien qu’il n’ait pas réussi à briser l’adhésion à la Non-intervention, il s’agit d’un autre jalon qui a favorisé la diffusion du film.
Terre d’Espagne avait été conçue et filmée, avec Joris Ivens, par Ernest Hemingway, qui s’était également chargé de réunir les fonds nécessaires à son financement. Orson Welles a prêté sa voix à la version anglaise, de même que Jean Renoir pour la version française.
Lors de la première à Hollywood, James Cagney a craqué en pleine représentation et a quitté le théâtre en criant : «Je paierai une ambulance !»
Quelques mois plus tôt, en mars 1937, André Malraux s’était rendu aux États-Unis dans l’espoir que la notoriété de son nom et de ses discours aurait un impact sur ce qu’il considérait comme essentiel : l’obtention d’armes pour la République espagnole[v]. Lui aussi a rencontré les stars du celluloïd pour parvenir à ses fins.
En 1938, Malraux, qui avait lui aussi une foi aveugle dans l’importance du cinéma, entreprend avec Max Aub le tournage d’un film de fiction : Sierra de Teruel, que vous pouvez lire en détail dans ce merveilleux blog de notre ami Antoni Cisteró[vi]. Malheureusement, le sort de la guerre était déjà scellé.
Je voudrais ajouter qu’il y a eu deux autres documentaires, pratiquement contemporains de Terre d’Espagne mais moins diffusés. L’un, plus ancien, Spain in flames de la documentariste néerlandaise Helen van Doogen, a été interdit aux États-Unis dans certains États.
L’autre, Espagne 1936[vii], dont le scénario a été écrit par Buñuel, bien que ce documentaire ait été distribué par le Secrétariat à la propagande de la République,
Conclusion
Le cinéma et Hollywood ne sont pas restés indifférents à la guerre civile espagnole. Le soutien de ses figures étincelantes a fait pencher la balance d’un grand nombre de personnes à travers le monde qui, sans idéologie définie, ont soutenu les causes de leurs idoles.
L’aide totale générée par Hollywood est estimée à plus d’un million de dollars et a été transférée au bureau du Motion Pictures Artist Committee à Paris. Comme le mythique Rick de Casablanca… (Hollywood était aussi avec l’Espagne républicaine).
Les apostilles d’Hollywood
*Charlie Chaplin a même écrit une nouvelle sur l’assassinat d’un républicain qui a été publiée en anglais aux Etats-Unis et en catalan en 1938.
*L’écrivain Upton Sinclair, si souvent lié au cinéma par les adaptations de ses livres, a signé son soutien dans un livre largement diffusé à l’époque : «No pasarán» (Ils ne passeront pas).
*Il y a eu une visite à l’Espagne loyale qui a enthousiasmé ceux qui l’ont aimée et énervé ceux qui ne l’ont pas aimée : Errol Flynn.
L’idole a visité les villes bombardées et, bien sûr, en tant qu'»homme courageux», les fronts de bataille. Il faisait partie de la 15e brigade internationale. Les photos de Flynn en Espagne ont fait le tour du monde.
* Lorsque la chasse aux sorcières de l’après-guerre, le maccarthysme, a été déclenchée à Hollywood, de nombreux acteurs et actrices qui avaient soutenu la République espagnole ont défilé sur le banc des accusés… pour suspicion de communisme.
Bibliographie
*Gloria Domínguez López, El Star System, la construcción de mitos en el Hollywood clásico. Université de Séville, 2015.
*Javier Coma, La brigada Hollywood. Barcelone, (2002)
*Visor de la historia ( blog )
*Hémérothèque (voir la légende de l’image)
———–NOTES————-
[i] MARION, Denis (1996). Le cinéma selon André Malraux. Paris, Cahiers du cinéma. Página 6, Réference à Le Temps du mépris (MALRAUX, 1926).
[ii] GUEZ LÓPEZ, Gloria. (2015) El Star System, la construcción de mitos en el Hollywood clásico. En: https://idus.us.es/handle/11441/29327
[iii] COMA, Javier (2002). La Brigada Hollywood: Guerra española y cine americano. Barcelona, Ed. Flor del viento.
[iv] https://youtu.be/bCNJBjrlMIU?si=N1KmUNyddn6hi8Wu
[v] https://www.visorhistoria.com/la-verdadera-historia/#PARISNUEVAYORK