Le 14 décembre dernier, j’ai participé à une réunion émotionnelle et informative dans le cadre de VISORHISTORIA : rencontrer personnellement un témoin oculaire du tournage de Sierra de Teruel, plus précisément de sa séquence XXXIX, dans la ville de Collbató. Voici quelques notes prises lors de la rencontre avec Mme Eulalia Pons, âgée de quatre-vingt-dix-sept ans, et sa fille, Mariàngels Sellés. Mme Eulalia se souvient de ce qu’elle a vécu à l’âge de douze ans, à l’automne 1938, lorsqu’une équipe de Français, accompagnée d’un grand nombre de soldats, se trouvait dans son village pour tourner un film. Elle a également été émue en revoyant le fragment relatif à Collbató, notant quelques anecdotes qui enrichiront les futurs articles du blog et que je vous propose maintenant en hommage à une personne si attachante.
Selon elle, le tournage a duré cinq ou six jours. Dans son livre sur Josette Clotis, Suzanne Chantal[i] cite une lettre qu’elle a reçue de la compagne de Malraux pendant le tournage. Elle explique : «Nous avons tourné la descente de la montagne à Montserrat. Ils nous avaient prêté le monastère, où il y avait 1 700 lits, pour accueillir 2 500 personnes, mais les blessés sont arrivés et ont occupé les lits. Les soldats ont donc établi un camp à Collbató». Il ne précise donc pas la durée du séjour, mais dans les deux lettres précédentes, il note, le 1er octobre, les problèmes d’électricité, c’est-à-dire toujours à Barcelone (à son retour de Tarragone le 23 septembre), et le 7 octobre, il dit que «le tournage de la descente de la montagne est en préparation». On peut donc confirmer que le tournage a eu lieu pendant quelques jours au cours de la première quinzaine d’octobre 1938. Si l’idée de la durée du tournage de la séquence XXXIX est exacte, le souvenir que Madame Eulàlia garde du monastère de Montserrat l’est tout autant. Elle dit : «Oh non, les soldats ne sont pas allés au monastère. Il y avait un hôpital plein de blessés. Ma mère a aidé comme infirmière». Une autre remarque sur la présence des soldats est le commentaire qu’elle fait : «Nous, les filles, n’étions pas autorisées par nos familles à quitter la maison». Cependant, il semble qu’une exception ait été faite le jour où ils ont filmé l’entrée des blessés dans la ville, où elle se souvient : «Ils nous ont tous appelés sur la place de l’église, parce qu’ils filmaient avec des blessés ensanglantés et un cercueil.
Une autre coïncidence entre mon amie de Collbató et Josette Clotis apparaît lorsque la première me dit : «Il n’était possible de filmer que lorsqu’il y avait du soleil. Les caméras n’étaient pas aussi parfaites qu’aujourd’hui. S’il y avait des nuages, le film n’allait pas bien». De son côté Josette nous dit : «Pour nous, le réveil était à 5h30 du matin. Nous sommes restés dans la montagne de 7 heures du matin (il s’ensuit que l’équipe technique a dormi à Barcelone, à une quarantaine de kilomètres de Collbató) jusqu’à 17h30, sans déjeuner, pour ne pas perdre une minute de lumière du jour. Mme Eulàlia ajoute : «Le réalisateur crié avec un accent français : –Corten ! Desanso ! Et aussi, à la reprise du tournage : Todos al cortejo ! (avec un fort accent français, peut-être Malraux ou celui de Max Aub, dans son rôle d’assistant-réalisateur et de bras droit d’André Malraux, qui utilise ce mot dans le scénario publié par Era[ii]). Pendant le repos des troupes (dont Josette indique qu’ils étaient des bataillons de montagne, récemment recrutés), mon amie commente en souriant : «Les soldats et l’équipe de tournage ont beaucoup fumé. Lorsqu’ils ont jeté leurs mégots, les enfants se sont précipités pour les ramasser et les apporter à leurs parents.
Une autre intervention très importante, qui apparaîtra dans de futures entrées, est l’affirmation que les plans où l’on voit des gens quitter le village (XXXIX-45)[iii], d’abord à travers un arc et ensuite autour d’une tour, ne sont pas de Collbató. Ces plans figurent dans la copie de la bibliothèque américaine, mais pas dans celle publiée en France sous le nom d’Espoir. Peut-être que celui qui l’a supprimé lors du montage original savait qu’il s’agissait d’un ajout qui ne correspondait pas au tournage initial. Nous devrons le découvrir.
Dans quelques jours, sa fille, Maríàngels, m’enverra un petit livre sur les mémoires de son père[iv], dans lequel il y a un chapitre consacré à Sierra de Teruel. Il est écrit selon la méthode de «lecture facile», publiée par l’association qui promeut ce type de littérature[v], dont elle est vice-présidente. Cela me permettra d’ajouter de nouvelles informations aux différentes entrées de la séquence XXXIX et également au chapitre correspondant de La vraie histoire du tournage de la Sierra de Teruel. Une dernière note pour le moment : Eulàlia a cru reconnaître son grand-père Isidro dans le plan où apparaît l’aviateur allemand blessé.
Un moment d’émotion dont je me souviendrai longtemps. Merci, Eulàlia, merci, Mariàngels, du fond du cœur.
[i] CHANTAL, Suzanne (1976), Un amor de André Malraux. Barcelona, Ed. Grijalbo. Pages 116-117.
[ii] MALRAUX, André (1968). Sierra de Teruel. México, Ed. Era. Pàgines 139 i ss.
[iii] Minut 1:08:54 à RTVE: https://www.rtve.es/play/videos/filmoteca/sierra-teruel-1938/3918025/
[iv] SELLÉS, M.m Àngels (2011) De Chamartin a Collbató. Barcelona, La mar de fácil editorial.