Aujourd’hui, je veux vous raconter une petite histoire, pleine de détails, mais rendue grande par la coopération et l’empathie qu’elle a créée dans un groupe qui m’était jusqu’alors inconnu.
L’événement commence dans l’une des enquêtes visant à déterminer le lieu de tournage d’une séquence. Il s’agit de la séquence VI, où à la fin, les volontaires de la ville quittent une droguerie pour aller apporter des armes et de la dynamite à Linàs assiégé.
J’ai analysé dans d’autres entrées que le magasin d’où ils sortent (et non l’intérieur, qui a été filmé dans le studio de Montjuich) était celui situé rue Petritxol nº 15, comme le montre l’image (photo et publicité de l’époque de l’entreprise). Mais il y avait un doute sur l’endroit où ils sont passés lorsqu’ils sont partis, pour enchainer avec la séquence VII filmée dans la rue Santa Ana. Certains historiens ont dit qu’il s’agissait de la rue del Call[i]. Mais lorsque j’ai visité le site, cela ne m’a pas semblé être le cas.
J’ai commencé à analyser la bibliographie et quelques photographies du tournage que j’ai comparées avec les photogrammes du film. Dans les mémoires d’un des participants, Denis Marion[ii], assistant de Malraux à la production, il a déclaré que les intérieurs avaient été tournés en studio, et non dans le magasin que j’avais localisé comme siège de l’entreprise de tapis Lledó Mas, à Rue Petritxol, 15 à Barcelone. C’était en partie vrai. Mais j’ai démontré dans un autre post[iii] que ce qui avait seulement été tourné, c’est la sortie du magasin, par la porte que le gérant leur a ouverte.
Une photographie initialement sans rapport avec le sujet m’a donné la réponse. Pendant que je faisais cela, j’avais trouvé un groupe sur Facebook appelé BARCELONA ARA I ABANS[iv] (Barcelone aujourd’hui et avant) et je l’ai rejoint. Par intuition j’ai posté mes analyses sur leur mur et, agréable surprise ! les « likes » et commentaires sont vite arrivés. Le meilleur arrivait.
Il s’agissait d’une photographie, extraite d’un catalogue d’une exposition en hommage à Max Aub[v], montrant Aub et Malraux, ainsi que l’opérateur et d’autres personnes. Où cette photographie avait-elle été prise ?
En quelques heures, l’énigme fut résolue. Cela avait été prise juste en face du magasin, dans la rue Petritxol (en l’occurrence, au numéro 18, en face du numéro 15 d’où les républicains sortaient).
Parmi les contributions que je peux souligner : 1/ on peut voir une pancarte « Fabrica de alfombras », qui est à l’envers. Je pensais avoir fait pivoter la photo, mais le groupe m’a dit non, que c’était un reflet dans la vitrine d’une librairie (devant le magasin) ; 2/ que la photographie n’était pas inversée, compte tenu de la position d’un foulard de poitrine d’un des personnages ; 3/ Face à la question de savoir si une photographie aussi large pouvait être prise dans une rue aussi étroite, des contributions ont été apportées sur le type d’objectif et d’appareil photo utilisé.
Conclusion : les quelques secondes du dernier plan (6) de la séquence VI, où ils défilent dans la rue, ont été tournées dans la rue de Pétritxol elle-même et non dans la rue del Call. Ceci est peut-être renforcé par le texte du scénario[vi]: « La rue devant l’atelier…. On voit les hommes en pied qui sortent. Le propriétaire se tient dans l’embrasure de la porte. Il regarde ses camarades qui passent devant lui. La caméra se concentre ensuite sur la rue pour voir les hommes… ».
Des gens que je ne connaissais pas, qui ne connaissaient rien de mon site jusqu’à ce jour, m’ont aidé et, je l’espère, ont pris plaisir à réfléchir à une photographie sans plus d’intérêt que celui que j’avais pour le film. Je l’ai remercié. Et je tire également les conclusions suivantes.
1/ les réseaux sociaux ne sont qu’un outil. S’il est vrai qu’il existe des voyous (malheureusement nombreux, comme partout), il est également vrai que quelques réseaux peuvent être très utiles pour ouvrir des canaux de communication entre des personnes qui autrement ne se rencontreraient jamais.
2/ L’intérêt que l’on peut avoir vers une ville, désintéressé et ouvert, peut être extrapolé à d’autres repères. Et dans cette tache d’huile en expansion, il peut y avoir une bonne source d’empathie envers des problèmes communs.
3/ L’une des manières de tisser ensemble ces intérêts dispersés est l’histoire, et en particulier la micro-histoire. Une photographie, une lettre de grand-père, ce livre que l’on trouve plein de poussière dans un coin, ou cet article que l’on lit faisant référence à des événements précis presque oubliés, peuvent intéresser bien plus de personnes que celles qui leur sont directement liées.
EN SAVOIR + :
NOTES:
[i] THORNBERRY, Robert S. (1977). André Malraux et l’Espagne. Ginebra, Librairie Droz. Page225.
[ii] MARION, Denis (1989). ” Como André Malraux realizó « Espoir”, Archivos de la Filmoteca, I, nº 3. Page 313
[iii] https://www.visorhistoria.com/secuencias-iv-vi-drogueria-o-cesteria/
[iv] https://www.facebook.com/groups/1650840901843578
[v] El universo de Max Aub. (Catálogo de la exposición conmemorativa). (2002) Valencia, Generalitat Valenciana.
[vi] MALRAUX, André (1968) Sierra de Teruel. México, Editorial Era. Page 32.