Avec l’autorisation de Marie Chantal dos Santos, fille de l’auteure, VisorHistoria propose l’article publié par Suzanne Chantal dans l’hebdomadaire français Cinémonde[i], dans son numéro spécial de Noël 1938 (n° 529, 7,12,1938, pages 1084-1085). Ce texte relate une expérience vécue par l’auteure lors de son séjour à Barcelone à l’été 1938, où elle avait rendu visite à son amie intime Josette Clotis, compagne de Malraux, qui tournait alors pendant quelques mois Sierra de Teruel en Catalogne. (les notes de fin sont de Visorhistoria)
En lisant attentivement ce texte émouvant et vivant, le lecteur se posera peut-être certaines questions, comme cela a été notre cas. Certaines informations ne sont pas exactes, comme le placement des studios de tournage au Tibidabo et non à Montjuich, ou le nom erroné d’un des acteurs (Perra au lieu de Peña, peut-être en raison de l’absence de cette lettre Ñ dans l’alphabet français). Nous les avons signalées en ajoutant des notes à la fin de l’article. Cela soulève la première question : quelles circonstances racontées ont été vécues directement par Suzanne Chantal, et lesquelles lui ont été racontées ?
L’article comporte deux parties, la première décrivant l’arrivée et l’ambiance trouvée, et la seconde donnant des détails sur le tournage de Sierra de Teruel, parmi lesquels le tournage dans une droguerie (séquences IV et VI), le départ pour Tarragone et aussi pour Collbató (les deux non vécus en direct comme indiqué), et cette dernière, même traitée au futur : « on va s’installer… »
L’auteure n’est restée que quelques jours à Barcelone. Comme dans l’article, elle le raconte également dans son livre Le cœur battant[ii], traduit en espagnol sous le titre Un amor de André Malraux : Josette

Clotis. Elle y raconte, comme dans l’hebdomadaire, comment ils s’allongeaient sur l’herbe de la Plaza Cataluña en attendant les bombardements. Elle évoque également le choc provoqué par le manque de toute sorte de matériel. Dans un moment donné, elle dit : « Je retourne à Paris pour assurer un service régulier d’approvisionnement divers[iii]. » Elle reproduit ensuite une lettre de son amie, qui raconte le tournage à Tarragone : « 22 septembre : Nous sommes rentrés hier de Tarragone, où nous venons de passer quinze jours. » Elle n’aurait pas écrit cela si Suzanne avait encore été avec elle. Ainsi, lorsque l’article raconte le tournage, la source est cette lettre, qui reprend même certains paragraphes très similaires, comme celui-ci : « Quelle belle ville ! Sous les remparts, il y a un jardin avec des figuiers, des orangers, des jasmins et, en contrebas, la mer », que l’on peut comparer à celui de Cinémonde : « Mais quelle douceur épargnée, dans les jardins des remparts, plein de figuiers, d’auberginiers et de jasmins ! ». Nous en déduisons donc que Suzanne a séjourné à Barcelone avant le départ pour Tarragone, début septembre. Cela est d’autant plus vrai dans le récit du tournage à Collbató/Montserrat, où il rapporte les propos de Josette dans une lettre du 12 octobre.
Il n’est pas rare qu’elle utilise des informations fournies par son amie intime pour compléter son excellent et émouvant article. Mais l’une des notes soulève une question supplémentaire : pourquoi, lorsqu’elle fait référence au film, utilise-t-elle le titre espagnol : « La Esperanza, le film que tourne André Malraux d’après son roman L’espoir… » ? L’évolution du titre, de Sang de gauche à Sierra de Teruel puis finalement Espoir, a déjà été analysée sur ce site. Mais ce dernier titre n’a été donné qu’en 1945, pour des raisons commerciales, lorsqu’il a pu être projeté en public. Malraux ne voulait pas Espoir afin de ne pas créer de confusion avec son roman. Alors ?
Mais tout ne s’arrête pas là. Une question reste en suspens : attention !
À la fin de la page 1085[iv], l’article, accompagné de quelques photogrammes illustratifs, indique : (Suite page 1134). Mais ô surprise ! Cette page correspond à la quatrième de couverture, avec une image d’une publicité pour une boisson[v]. Après avoir parcouru toutes les pages du magazine, la perplexité grandit encore : sur la couverture, il est indiqué « Numéro spécial Noël. 100 pages », mais entre la première page (numérotée 1037) et la dernière (la page 1134 mentionnée), il manque trois pages sur les cent pages promises. J’ai parcouru toute la publication, ainsi que les numéros suivants (d’une vingtaine de pages), et la suite de l’article n’apparaît nulle part, celui-ci restant donc incomplet. Les consultations ont été effectuées en ligne, mais la numérotation est correcte, imprimée au bas de chaque page. Comment et où se termine le récit de Suzanne Chantal ? Ce n’est pas par manque de place, car la même auteure publie dans le numéro analysé un récit intitulé Le banquet de Myosotis[vi].
Coverture et quatrième de coverture CINÉMONDE,nº 529
Vous pouvez lire l’article « mutilé » à l’adresse suivante : LE CINÉMA SOUS LES BOMBES.
[i] CHANTAL, Suzanne (1938) « Le cinéma sous les bombes » dans CINÉMONDE, n° 529. 7.12.1938, pages 1084-1085 et, vraisemblablement, 1134,
[ii] CHANTAL, Suzanne (1976) Le coeur battant. Paris, Grasset & Fasquelle. 2e édition de mars 1997 chez Grasset.
[iii] CHANTAL, Suzanne (1976) Un amour de André Malraux : Josette Clotis. Madrid, Grijalbo. Page 115.
[iv] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bd6t51174277t/f48.item Les numéros de page sont corrélatifs depuis le début de l’année.
[v] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bd6t51174277t/f93.item
[vi] Pages 1120-1123.