Après la première séquence, composée seulement d’une partie de ce que prévoyait le scénario, la seconde semble assez complète. Nous l’analyserons sous deux angles, dont le premier est le personnage dont le cadavre est rendu hommage par l’escadrille internationale et les gens du village environnant ; le second sera consacré aux figurants qui apparaissent sur scène.
La scène s’ouvre avec quelques dizaines de villageois entourant le cadavre gisant d’un aviateur. Entre le commandant Peña (José Santpere) et commence solennellement : «Marcelino Rivelli, dix-sept combats en Espagne…». Il s’agit d’une évocation du brigadier Giordano Viezzoli, un intellectuel et militant italien dont, à sa mort, a été édité à Paris, mais en italien, une courte brochure de 18 pages[i]. Intéressante est aussi la fiche de Giustizia e Libertà, qui rapporte qu’il est né à Trieste le 31.5.1910, et est mort dans un combat aérien sur Talavera, le 3.9.1936 (erreur de date, voir figure). Toutes les autres références trouvées indiquent que le combat a eu lieu le 30 septembre. Viezzoli était un bombardier, et il est mort saigné à mort des blessures reçues dans l’aine par une balle explosive, lors d’un combat aérien de son Potez avec des chasseurs Fiat fascistes. Son compagnon, le mitrailleur Bruno Roda, nous raconte : «Nous nous sommes retrouvés en Espagne la première semaine d’août 36 à Barajas (Madrid) […] C’était un idéaliste avec une grande foi antifasciste qui, dans les actions, le conduisait à mépriser le danger»[ii]. Cela confirme que Viezzoli a été l’un des premiers membres de l’escadrille, tout comme le pilote du Potez attaqué, le communiste français Deshuis. Cependant, dans la liste détaillée des membres de l’escadrille qui apparaît dans le livre de Thornberry[iii], aucun Roda ne figure. Sur la fiche de Giustizia e Libertà, le nom Roda apparaît ajouté sur un autre barré. Sur la liste citée, et en prenant comme référence son poste de mitrailleur, seul un Italien apparaît dans la première étape : Veniero Spinelli[iv].
La biographie de Viezzoli pourrait être le sujet d’un roman, et une partie d’elle est racontée par Peña dans la séquence II de Sierra de Teruel. Mais rappelons simplement qu’il a été un militant antifasciste dès son plus jeune âge, qu’il a été condamné à mort et sauvé par la pression de certains intellectuels, et qu’il est passé en France, où il a travaillé à l’usine automobile Lancia.
La valeur de cette biographie est hors de doute pour Malraux, qui inclut le personnage dans son roman et dans le film, aussi bien que Marcelino. Dans L’Espoir, il le présente comme «bombardier»[v] déjà dans l’attaque de l’Alcazar de Toledo, puis décrit sa mort[vi], avec une erreur («Comme Marcellin avait été tué par une balle dans la nuque, il était peu ensanglanté») et une précision qui n’apparaît pas dans le film : dans l’incident il y a eu trois morts :
«Trois blessés, trois morts. Il manquait un mitrailleur, Jaime, qui descendit bien après les autres. Les mains en avant, tremblantes, et un camarade qui le guidait : une balle explosive à la hauteur des yeux. Aveugle».
Continuons avec les vrais protagonistes de l’événement : L’avion était piloté, selon toutes les sources, par Émile Deshuis, né le 10 octobre 1989 à Valenciennes (France)[vii], le seul à en être sorti indemne. Les trois blessés sont les Français Arribas, Bordalo et Issart, tandis que les deux autres morts sont le Français André Blondeau et un mécanicien espagnol.
Mais ce n’est pas tout. En effet, le poste de Marcellin au Potez 450 de Deshuis aurait dû être occupé par Paul Nothomb, l’auteur d’André Malraux en Espagne. Il s’en souvient lui-même, nous disant que des angines l’ont empêché de rejoindre la mission, et qu’il a été remplacé par Viezzoli. C’est lui qui nous offre les images ci-dessous. À la fin, il ajoute : «Les funérailles de nos camarades, deux jours plus tard, ont été salués par toute la presse loyale, et par le peuple de Madrid»[viii].
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[i] Giordano Viezzoli : un eroe dell’ala rivoluzionaria italienne. Paris : Impr. du Centarue, [1936? ]. 18 p. https://sidbrint.ub.edu/en/node/12619
[ii] Fiche de Giustizia e Libertà (http://www.antifascistispagna.it/wp-content/uploads/2016/03/A00-01186-06-00-00148-000-005-Viezzoli-Giordano_0001.pdf). Fiche Garibaldini in Spagna (http://www.antifascistispagna.it/). Aussi le livre : PUPPINI, Marco (2019). Garibaldini in Spagna. Storia della XII Brigata Internazionale nella guerra di Spagna. Udine (Italie) : Kappa Vu. Aussi https://www.bibliotecaginobianco.it/flip/GIU/04/3900bis/#2
[iii] THORNBERRY, Robert S. (1977). André Malraux et l’Espagne. Genève, Droz. Page 216
[iv] CASTELLS, Andreu (1974) Les Brigades Internationales de la Guerre d’Espagne. Esplugues de Llobregat : Ariel. 685 p.
[v] MALRAUX, André (1995). La esperanza. Madrid: Cátedra. Pag. 219
[vi] MALRAUX, André (1995). La esperanza. Madrid: Cátedra. Pag. 234.
[vii] Bien que le Dictionnaire biographique du mouvement politique et social indique, à tort, qu’il a rejoint la Brigade le 13 octobre, en tant que lieutenant. Voir : https://maitron.fr/spip.php?article22474
[viii] NOTHOMB, Paul (2001). Malraux en Espagne. Barcelone, Edhasa. Page 52.