Après le commentaire de la séquence V, qui n’a pas été tournée, et la séquence de transition VI, déjà mentionnée comme une suite de la séquence IV, nous arrivons à la SÉQUENCE VII. [i]Malraux et son équipe ont peut-être eu plus de facilités et plus de moyens pour la tourner que d’autres qui seront filmés plus tard, la guerre avançant inexorablement. C’est peut-être pour cette raison que quelques images du tournage sont disponibles, comme celles que nous vous proposons ici, en citant la source avec la référence aux livres dont elles ont été scannées.
La séquence VII, dans laquelle les républicains de Teruel ont quitté la droguerie (séquence VI, en marchant dans la rue Petritxol) et sortent de la ville pour apporter des armes et de la dynamite à Linás, menacé, a été tournée dans les premiers temps de l’aventure. Il semble logique qu’elle ait été tournée avant les séquences qui suivent l’intrigue, VIII, IX et X, dont la plupart (à l’exception de quelques plans dans la rue Montcada à Barcelone) ont été tournées à Tarragone. Josette Clotis, qui y était, raconte à son amie Suzanne[ii], le 22 septembre 1938 : «Nous sommes revenus hier de Tarragone, où nous venions de passer quinze jours». Il est donc possible que ceux de la séquence VII aient été fusillés en août. Cette hypothèse est d’ailleurs corroborée par l’historien John J. Michalczyk[iii] qui indique qu’elle a été tournée le 4 août. Cela coïncide également avec le costume très estival que l’on voit sur les images du tournage.
Il convient de mentionner que le 19 août, de violents bombardements ont touché le marché de la Boqueria et la rue Santa Ana elle-même[iv], en particulier les numéros 1, 2, 3, 3, 4 et 7, c’est-à-dire les maisons situées à côté des Ramblas. Ces bombardements ont été effectués par des avions italiens Savoia S 79 en provenance de Majorque, à 4 heures, 10 heures et 12 h 30 du matin, faisant 24 morts et 84 blessés. Les autres bombardements de ces jours-là se sont déroulés plus loin du lieu de la fusillade (généralement le port), les 3, 10, 13, 14, 15, 28 août et les 4, 13 et 16 septembre. Nous les verrons plus en détail dans une rubrique spécifique, car ils ont affecté le tournage et plus encore le développement des négatifs.
Cependant, il faut noter que, malgré la dureté des bombardements contre la population civile, cela n’a pas influencé la politique de Non-Intervention. Ceux du 19 août ont été constatés à Barcelone par la commission d’enquête britannique, qui a rendu un rapport sévère au Foreign Office[v].
Ceux du mois de juillet précédent, en particulier celui du 19, qui a touché la cathédrale 3, ont également été inclus dans le documentaire Catalunya martir (voir vidéo), qui a été projeté le 27 du même mois à Paris. Les questions d’État, ou l’aboulie des gouvernements français et britannique, ont été plus fortes que les images et les rapports de ces cruelles attaques.
A : LA GRILLE : Il s’agit de l’entrée de l’église paroissiale de Santa Ana, qui dispose d’un passage à l’arrière qui mène à la Plaza Cataluña. C’est toujours comme sur la photo.
B : LE MAGASIN : C’est peut-être le seul magasin qui n’a pas changé depuis 1938. De nos jours, il s’agit d’une ganterie (Guantería Alonso, dans le nº 27) , et à l’époque, il devait s’agir de quelque chose de similaire ou tout au plus d’une mercerie. On peut la voir sur le photogramme.
C : LES CURIEUSES : Manuel Berenguer (directeur de la photographie, qui dans Sierra de Teruel était opérateur aux côtés d’André Thomas, sous la direction de Louis Page) nous dit[vi] : «Quand nous avons tourné dans la rue Santa Ana, c’était assez difficile parce que les gens se penchaient aux balcons«. (Les demi-cercles ci-dessous indiquent qu’il s’agit de ces balcons et pas d’autres). L’image correspond à MARION (1976) : 128).
D : CARRAL : Après le choc de l’embusqué qui leur a tiré dessus, l’image montre Carral en train de regrouper ses hommes. L’endroit exact où il se trouve est indiqué par les reliefs sur le mur. Au fond, le Portal del Ángel.
Ci-dessous, j’ai également pu localiser le point d’où les caméras ont été positionnées pour filmer l’ensemble de la séquence :
E : LE BLESSÉ : Sur l’image de 1938, tirée du livre de Marion (MARION 1970 : 55)[vii], on nous dit : «Après le tournage, un des figurants continue à représenter la mort sur les pavés.» Au centre, André Malraux, en partie couvert, Denis Marion et Max Aub. On peut ajouter : La photo est prise en direction des Ramblas, et on y voit les barrières mises en place pour empêcher les badauds (assez nombreux à l’arrière-plan), et même (entre Malraux et Marion) un garde d’assaut avec son fusil, pour maintenir l’ordre. Malgré la mauvaise qualité de l’image, on ne voit aucun dégât sur les bâtiments des Ramblas, ce qui signifie que le film a pu être tourné avant le 19 août, date fatidique.
F : PLANS : Sur la photo, [viii]on peut voir Max Aub indiquant quelque chose au niveau de la rue, tandis qu’André Malraux regarde dans le viseur d’une caméra tenue à la main. À l’arrière-plan, Denis Marion (image tirée du catalogue UNIVERSO MAX AUB 1AA.VV. (2002) Catalogue de l’exposition commémorant le centenaire de la naissance de Max Aub (1903). On aperçoit à l’arrière-plan le Portal de l’Àngel (côté opposé aux Ramblas).
G : LE TOURNAGE (MARION (1976) : 64). Peut-être en pointant du doigt le balcon d’où le fasciste embusqué tire. Les balcons derrière nous indiquent l’endroit (dos aux Ramblas). La personne qui lève le bras est Denis Marion, et derrière lui, la script, Paule Boutault, épouse de Louis Page, l’opérateur sous les ordres d’André Thomas.
Outre les costumes qui indiquent que le tournage a eu lieu en été, il faut noter qu’André Thomas est parti en octobre, Louis Page devenant l’opérateur avec Manuel Berenguer. Page et sa femme sont partis en novembre, laissant le tournage aux mains de Berenguer, de Jaime Piquer et d’autres personnes, peut-être de Laya Films.
Il reste encore quelques images qui peuvent nous éclairer sur ces chaudes journées de tournage :
1.LA BALLE : Dans la seconde moitié de 1938, la pénurie de matériel de guerre est telle que pour tourner le plan dans lequel un fasciste tend une embuscade depuis son balcon, blessant plusieurs républicains, il faut utiliser une bille d’acier qu’un assistant lance contre la vitre d’un magasin, dans un «effet spécial» précaire. Sur la photo, il montre son projectile à l’équipe de tournage (MARION (1976) : 75). La photo montre certaines des personnes mentionnées au point précédent (voir la légende).
2.TRAVELLING : Sur la photo, Max Aub, confortablement installé dans un fauteuil, a les rails à ses pieds pour effectuer un trávelin (Images AA.VV. (2002) : 16, et MARION (1976) : 176). La seconde montre la présence (de gauche à droite) de Denis Marion (la main sur la tête), Paule Boutault et André Malraux regardent la caméra. En arrière-plan, les badauds du côté du Portal del ‘Angel.
Cette revue des lieux ne pouvait se terminer sans la carte correspondante, sur laquelle sont indiquées les lettres des lieux indiquées au début de cet article.
Dans le premier scénario publié en France[ix] dans Avant-Scène Cinéma (AA.VV. (1989). Pages 33 et suivantes), avec une traduction française par André Camp du texte de Max Aub (ainsi indiqué), plusieurs boutiques de la rue sont mentionnées ; c’est peut-être la séquence avec les lieux les plus détaillés. Cette entrée servira à la compléter.
Dans une vidéo (4’18»), nous avons reflété la comparaison entre les photogrammes du film et les mêmes lieux aujourd’hui, à la fois sur la Calle Santa Ana et sur Tarragone.
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En guise de colophon, je me permets un très bref extrait du chapitre VIII de mon roman Champ d’espoir[x], dans lequel sont évoqués certains des points abordés ici :
– Sang de gauche. Séquence sept. Première prise.
La tête de Carral, le chef des guérilleros, puis celle de González, le dynamiteur, unies à celles d’une demi-douzaine de figurants en plus, et Pedrito, « Le Boiteux » qui ferme la marche. Deux autres, accroupis. La main d’André Thomas qui descend : le mouvement du wagonnet doit commencer. Agustín le pousse avec précaution, lentement, progressivement, sans secousses, pas à pas, les pieds rivés aux pavés. Il sait comment faire : pousser en étant collé au sol, presque en rampant.
– Poussez-vous ! La voix de Max Aub rugueuse, troue le silence lourd d’expectative. Madame, nom de Dieu ! Cachez-vous une fois pour toutes ! Disparaissez ! Une tête avec des bigoudis apparaît et disparaît, hésitante. Si vous recommencez à vous faire voir, nous vous emmenons !
L’un des miliciens des Ramblas, parmi les badauds agglutinés autour de la scène, sort son fusil et le pointe vers le balcon. Les curieux reculent. La tête ne réapparaîtra pas de l’après-midi. Clara et Josette se regardent et rient. Une brune et une blonde dans la rue de… Teruel ? Barcelone ?
———–NOTES———————————–
[i] MALRAUX, André (1968). Sierra de Teruel. México, Ed. Era. Página 32.
[ii] CHANTAL, Suzanne (1976). Un amor de André Malraux : Josette Clotis. Barcelona, Grijalbo. Page 115
[iii] MICHALCZYK, John J. (1977), André Malraux’s Espoir : The propaganda/art film and the Spanish Civil War. University of Mississippi. Page 159
[iv] ALBERTÍ, Santiago y Elisenda (2004). Perill de bombardeig. Barcelona sota les bombes (1936-1939). Barcelona, Albertí Editor. Página 282. Mapa muy detallado en: ARAÑÓ, laia y CAPDEVILA, Mireia. (2018) Topografia de la destrucció -Els bombadeigs de Barcelona durant la Guerra Civil (1936-1939). Barcelona, Ayuntamiento. Página 178
[v] La Humanitat. 20.8.1938, Page 1
[vi] Archivos de la Filmoteca. Valencia, Filmoteca de la Generalitat Valenciana. Año I, nº 3. Page 283
[vii] MARION, Denis (1970). André Malraux. Paris, Ed. Seghers-Cinéma d’aujourd’hui.
[viii] EL UNIVERSO MAX AUB – Catálogo (2002)
[ix] Sierra de Teruel-Espoir. Avant-Scène Cinéma. N. 385 Octobre 1989. Páginas 33 y siguientes.
[x] CISTERÓ, Antoni (2017) Champ d’espoir. Baixes, Balzac Éditeur.