(Cette semaine marque le 80ème anniversaire de l’accident qui a coûté la vie à la compagne de Malraux lors du tournage de Sierra de Teruel, et mère de deux de ses enfants. Ce court texte fait office d’hommage et de souvenir)
Le 12 novembre 1944, Josette Clotis accompagne sa mère à la gare de Saint-Chamant. Leur relation s’était détériorée depuis sa dernière grossesse et la mère avait décidé de partir plus tôt que prévu. Ils se disputaient encore dans le wagon lorsque le coup de sifflet du départ retentit. Josette sauta alors que le train était déjà en marche, avec une telle malchance qu’elle glissa sous les roues qui lui coupèrent les jambes.
Les gens la transfèrent à l’hôpital de Tulle, et préviennent André Malraux, qui se trouve à Montmagny (Haute-Saône), au quartier général de la brigade résistante Alsace-Lorraine. Il arrive à Tulle alors que Josette est déjà décédée. Dans ses derniers instants, Josette interdit à sa mère d’entrer dans la chambre, et demanda à son amie Rosine Delclaux (marraine de son fils Vincent)[i] : «Maquille-moi bien, parce qu’il va venir et je veux qu’il me voie comme autrefois.» Ce n’était pas possible, Malraux arriva le lendemain.
Josette avait été aux côtés de Malraux tout au long du tournage de Sierra de Teruel en Catalogne. En guise d’hommage, je me permets d’offrir un bref fragment d’une lettre d’elle à son amie proche Suzanne Chantal, qui m’a été remise par mon collègue et ami Gérard Malgat[ii]. Josette y décrit le profil d’un personnage clé du tournage : Max Aub.
« Il y a un homme charmant qui s’appelle Max Aub : celui-là, nous le voyons beaucoup. C’est un Espagnol, mais il parle français mieux que nous ; il aime beaucoup les femmes et il a toute l’allure très tendre – mais c’est un homme qui ne pourra jamais vous plaire que superficiellement ; c’est le genre sophistiqué, et ce que vous n’aimez pas. Il est très gentil ; d’une serviabilité à toute épreuve, vraiment gentil ».
Pendant le tournage, Josette a apporté des idées et des suggestions, dont certaines ont été capturées dans le film. Surtout le plan de la séquence XXXIX dans lequel, déjà à l’intérieur de la ville (Collbató), au passage du cortège funèbre, des jeunes filles redressent les jambes. En apprenant que Suzanne Chantal préparait un livre sur Josette, Malraux lui écrit en insistant sur le fait que le détail était très important pour sa copine (voir image). C’est ainsi que son amie l’exprime dans le livre (page 118) : « J’ai effectué consciencieusement mon travail de script-girl en montagne. Je suis responsable de deux ou trois plans dont je ne suis pas peu fière » (elle a imaginé la séquence dans laquelle les femmes écartent les enfants au passage des civières).
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NOTES:
[i] THEILLOU, Françoise (2023) Je pensé à votre destin. Paris, Grasset. Página 116
[ii] Pas de date, mais très probablement fin juillet 1938, puisqu’elle l’invite à se rendre à Barcelone, et il est vrai que Suzanne y était avant octobre (lettre du 10/11/1938), et elle le prévient que il fait très chaud. Ceci est confirmé par Chantal elle-même. (CHANTAL, Suzanne (1976). Un amor de André Malraux: Josette Clotis. Barcelona, Grijalbo. Página 113)